La circularité comme solution stratégique de mitigation des risques supply chain
L’interconnexion entre gestion des risques et pratiques de supply chain circulaire fut au programme de la dernière réunion de la Communauté des Risques de France Supply Chain. Cette session, animée par Jonathan Lecluze, manager spécialisé en supply chain circulaire chez Citwell, avait pour objectif d’explorer, grâce aux échanges entre les participants, dans quelle mesure la circularité constitue une solution proactive face aux risques auxquels les supply chains sont confrontées.
Cette rencontre entre professionnels de différents secteurs industriels a révélé des enseignements majeurs sur la transformation nécessaire de nos modèles économiques pour faire face aux défis géopolitiques, environnementaux et réglementaires actuels.
Des vulnérabilités critiques qui appellent un changement de paradigme
Le 9 octobre 2025, la Chine annonçait des mesures extraterritoriales en matière de traçabilité des terres rares. En pratique, tout produit contenant plus de 0,1% de terres rares chinoises devrait faire l’objet d’une demande de licence pour être exporté de Chine ou bien d’un pays tiers vers un autre.
Cet événement majeur fait l’effet d’un séisme pour les milieux économiques et met une fois de plus en exergue la dépendance européenne vis-à-vis des approvisionnements extérieurs pour les terres rares (70 % des approvisionnements en terres rares européens proviennent de Chine) et plus largement pour l’ensemble des ressources fossiles, hydrocarbures inclus.
La réduction de la consommation de ressources fossiles en Europe apparaît comme un enjeu majeur de souveraineté. En outre, c’est un enjeu environnemental de premier plan.
La technologie est régulièrement convoquée comme une solution à ce problème car on lui prête la vertu de découplage entre activité économique et consommation de ressources. C’est cependant une vision partielle tant la technologie est elle-même éminemment composée de ressources fossiles issues de territoires extra-européens, Chine en tête.
Ce premier graphique met en avant le risque d’approvisionnement européen (en bas) en matières premières pour un panel de technologies (à gauche) nécessaires aux transitions environnementales.

Supply chain analysis and material demand forecast in strategic technologies and sectors in the EU – JRC Science for Policy Report
Les LREEs (Light Rare Earth Elements — les éléments de terres rares légères) et HREEs (Heavy Rare Earth Elements — les éléments de terres rares lourdes) sont en tête des matières premières les plus à risque pour les technologies listées.
Il est intéressant de croiser cette vue à la carte suivante qui nous montre les origines géographiques des ressources et le «Level of Governance» qui peut être interprété comme le niveau de stabilité d’un pays, ce qui est une approximation du niveau de risque d’approvisionnement du point de vue européen. On peut y voir que la plupart des matières premières proviennent de Chine et d’Afrique.

Supply chain analysis and material demand forecast in strategic technologies and sectors in the EU – JRC Science for Policy Report
Du modèle linéaire à l’économie circulaire : repenser la création de valeur
Face à ces vulnérabilités, repenser fondamentalement notre approche économique devient un impératif. Le modèle traditionnel «prendre-fabriquer-jeter» révèle aujourd’hui ses limites structurelles. Pour une grande partie des produits manufacturés que nous connaissons, nous pouvons retenir les ordres de grandeur suivants : 90% des ressources et 80% des émissions de CO2 se concentrent dans les phases amont de la chaîne de valeur (extraction, production, assemblage).
C’est précisément à ces réalités que répond l’économie circulaire, en proposant un véritable changement de paradigme. Plutôt que de s’inscrire dans une logique linéaire qui détruit progressivement la valeur au cours du cycle de vie du produit, elle structure les flux autour de la préservation et de l’optimisation de cette valeur.
Cette approche repose sur le cadre des «10 Rs», qui hiérarchise les stratégies circulaires en fonction de leur impact. Elles se déclinent en trois grandes logiques : réduire la boucle (R0–R2), ralentir la boucle (R3–R6) et clôturer la boucle (R7–R9).

Lifecycle & stages on the R-ladder (Reike et al, 2018)
Cette hiérarchisation fournit ainsi aux entreprises une boussole pour prioriser leurs actions circulaires.

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Passer d’un modèle linéaire à un modèle circulaire ne consiste pas seulement à ajouter du recyclage en fin de cycle, mais à repenser entièrement la manière dont nous créons et préservons la valeur tout au long de la chaîne.
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Jonathan Lecluze,
manager spécialisé en supply chain circulaire chez Citwell
Des pionniers inspirants
Plusieurs entreprises présentes lors de l’atelier démontrent des bénéfices économiques et environnementaux de ces approches circulaires, tout en renforçant la robustesse de leurs chaînes d’approvisionnement. Parmi elles :
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Orange présente l’un des modèles les plus aboutis de supply chain circulaire. Une box sur deux est aujourd’hui issue de la filière circulaire, chaque équipement pouvant être reconditionné jusqu’à 10 fois grâce à une éco-conception favorisant le démontage par vis plutôt que rivets. Les bénéfices sont multiples : réduction significative des coûts d’approvisionnement, diminution de l’impact environnemental et sécurisation des volumes de production.
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Renault déploie une stratégie circulaire structurée avec The Future is Neutral, projet de recyclage des métaux et batteries de véhicules électriques pour sécuriser l’approvisionnement en matériaux critiques.
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Décathlon développe ses modèles d’affaires circulaires, en proposant le rachat et la revente de produits d’occasion, la réparation, et la location de produits sportifs.
Comment la circularité transforme-t-elle les risques en opportunités ?
Ces exemples concrets illustrent comment l’économie circulaire transforme les vulnérabilités des supply chains en véritables leviers de résilience et en opportunités :
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Sécurisation des approvisionnementsLa circularité crée de nouvelles sources d’approvisionnement indépendantes des contraintes géopolitiques traditionnelles.
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Stabilisation économiqueEn développant des filières internes de récupération et de recyclage, les entreprises se protègent contre les fluctuations des marchés de matières premières, permettant une meilleure prévisibilité des coûts. L’entreprise Interface illustre cette approche en fabriquant des dalles de moquette, en nylon (dérivé du pétrole), à partir de filets de pêche recyclés.
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Anticipation réglementaireL’économie circulaire permet d’anticiper les évolutions réglementaires plutôt que de les subir, transformant ces contraintes en avantages concurrentiels. Apple investit dans des robots de démantèlement pour anticiper la législation sur la réparation, tandis que le Critical Raw Materials Act européen impose désormais de sourcer des aimants recyclés.
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Protection contre le risque réputationnelProtection contre le risque réputationnel dans le textile, un secteur très exposé aux controverses sociales et environnementales. C’est le choix de Patagonia via son programme Worn Wear de réparation et revente de vêtements usagés.
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Meilleure prévisibilité des flux et diversification des revenusC’est l’exemple de Philips et son modèle de Lighting as a service.
Défis et recommandations pour réussir la transformation
Enseignements stratégiques
Cinq principes fondamentaux émergent de cette session pour guider les professionnels de la Supply Chain.
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Solution proactiveTransformation du risk management d’une approche défensive vers une approche créatrice de valeur -
Transformation profondeNécessité de repenser en profondeur les processus, systèmes d’information et organisations -
Complémentarité avec les stratégies de sourcingConvergence avec les approches de sourcing multiple (le circulaire peut être vu comme un nouveau sourcing), le nearshoring (le circulaire est local par essence) -
Vision coût completIntégration des coûts cachés et des externalités dans les analyses économiques afin de révéler tout le potentiel du circulaire -
Enjeu stratégiqueNécessité d’un soutien sans faille au plus haut niveau de l’entreprise
* Le nearshoring, par différence avec l’offshoring, est le fait de délocaliser une activité économique dans une autre région du même pays ou dans un pays proche.















































