La slow logistique passée au crible par le LAB Jeunes
Une question fondamentale se pose : la rapidité à tout prix est-elle la seule voie possible pour une Supply Chain performante, désirable et durable ? C’est dans ce contexte de tension entre les attentes contradictoires des consommateurs et les impératifs écologiques et économiques que le concept de slow logistique prend tout son sens. Loin d’être un retour en arrière, cette approche propose une réévaluation de la vitesse, non pas comme une fin en soi, mais comme un élément à optimiser au service d’une logistique plus réfléchie, plus résiliente et, plus responsable.
Cet article du LAB Jeunes vous invite à démystifier la slow Logistique et à ralentir. Car choisir le « mieux » plutôt que le « toujours plus vite », c’est déjà changer le monde.
L’expérience client : Instantanéité versus Durabilité
Les générations Y (Millennials), Z et la toute émergente Génération Alpha, ont profondément transformé la relation client. Ayant grandi dans un monde hyperconnecté, ces groupes démographiques sont caractérisés par une soif d’instantanéité et une exigence de personnalisation sans précédent.
Pour eux, l’attente est devenue une anomalie plutôt qu’une norme.
La notion de délai acceptable s’est drastiquement réduite : « livré en 24 h », voire le jour même. Cette exigence de réactivité impose à la Supply Chain un niveau de flexibilité et de précision inédit, allant de la gestion automatisée des stocks à une orchestration millimétrée des flux logistiques. Le moindre retard ou aléa peut nuire à la satisfaction client, voire impacter la fidélité à la marque.
Afin de répondre à ces besoins exigeants, de nombreuses entreprises ont dû adopter l’omnicanalité. Cette approche stratégique est centrée sur le client, elle harmonise, intègre et synchronise l’ensemble des canaux de communication, de vente et de service. La logistique devient alors un levier clé de différenciation dans un marché saturé, où la compétition se joue souvent dans les derniers mètres de la livraison.
Quand le client exige aussi d’être soutenable

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Les flux de colis en ville devraient augmenter de 78 % d’ici 2030, menaçant de saturer les infrastructures et d’alourdir le bilan carbone du e-commerce.
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Rodrigue Branchet Fauvet, membre permanent du Lab Jeunes, E2E Supply Graduate Program chez Renault Group
En parallèle, ces mêmes consommateurs, en particulier les jeunes générations expriment une sensibilité croissante aux enjeux environnementaux. Ils attendent des marques non seulement de répondre à leurs besoins immédiats, mais aussi d’agir de manière responsable. Un chiffre éloquent souligne cette tendance : 80 % des consommateurs se disent prêts à changer de marque en faveur d’une entreprise plus engagée dans le développement durable.
Les entreprises doivent désormais conjuguer instantanéité et écoresponsabilité, deux objectifs souvent antagonistes. Fort de cette double exigence, et sous la pression croissante des régulations, le lien entre Supply Chain et satisfaction client s’est considérablement renforcé, notamment dans le secteur du e-commerce B2C. L’un des principaux enjeux est aujourd’hui la gestion du dernier kilomètre, à savoir la phase finale de la livraison.
Souvent le plus coûteux, le plus polluant et le plus visible pour le consommateur, le pilotage du dernier kilomètre représente :
- Une clé pour répondre aux attentes clients : il influence directement la satisfaction et la fidélisation des clients. Environ 88 %[1] des e-acheteurs considèrent la livraison comme un critère d’achat important.
- Montée des coûts logistiques liés à la personnalisation de la livraison (plages horaires, lockers, retours gratuits…).
- Un impact environnemental : Les véhicules utilitaires légers utilisés pour les livraisons représentent environ 30 %[2] des émissions de gaz à effet de serre (GES) en ville, et les déplacements urbains constituent un tiers des émissions totales du transport de marchandises. Le dernier kilomètre représente environ 25 % de l’empreinte environnementale de la chaîne d’approvisionnement.
Le rapport 2024 du Forum Économique Mondial sur la logistique urbaine souligne que les flux de colis en ville devraient augmenter de 78 % d’ici 2030, menaçant de saturer les infrastructures et d’alourdir le bilan carbone du e-commerce. Les entreprises doivent donc réinventer leurs modèles avec la mutualisation des livraisons, l’utilisation de modes doux (vélos cargos, véhicules électriques), l’implantation de micro-hubs urbains et l’optimisation algorithmique des tournées.
Plaidoyer du LAB Jeunes en faveur d’une slow logistique

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La slow logistique n’est pas une morale de la lenteur, c’est une intelligence du tempo.
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Robin Thomas-Le Déoré, membre permanent du Lab Jeunes, Consultant Opérations & Performance Strategy chez KPMG
Cette vitesse, argument ultime d’une pseudo performance, nous a fait perdre de vue les véritables enjeux et conséquences d’une chaîne qui s’emballe. La slow logistique n’est pas une morale de la lenteur, c’est une intelligence du tempo. Ce concept émergeant propose de repenser la logistique non plus sous l’angle de l’immédiateté, mais sous celui de la responsabilité.
Cela commence par un geste simple : rendre visibles les arbitrages. Au moment du choix, le client doit savoir ce que pèse son option en CO², en fiabilité, en coût complet. Quand l’empreinte et la probabilité de livraison sont affichées, l’achat cesse d’être un pari et l’expérience devient éclairée et responsable.
Reprogrammer le tempo, c’est ensuite distinguer l’urgent du pressé. Tout ne mérite pas d’arriver demain matin. Le vital, oui ; le courant, non. On ajoutera qu’une chaîne performante :
- assume des cadences différenciées ;
- consolide quand c’est pertinent ;
- mutualise quand c’est possible.
- s’appuie sur des micro‑hubs qui rapprochent sans encombrer ;
- reporte vers des modes bas‑carbone qui réduisent l’empreinte environnementale sans renoncer à la fiabilité ;
- s’appuie sur des données partagées qui harmonisent au lieu d’opacifier.
Quant à la ville, elle ne peut plus absorber l’addition infinie de solutions solitaires. La prochaine frontière n’est pas un entrepôt plus haut ni un van plus rapide, c’est l’interopérabilité (créneaux coordonnés, interfaces communes, hubs ouverts à plusieurs opérateurs et langage de données partagé.)

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Notre conviction est que là où l’on coopère, les kilomètres s’effacent, les taux de remplissage montent, et la promesse faite au client se fiabilise. La coopération n’est pas une concession ; c’est un accélérateur de productivité.
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Emma Arrondeau, membre permanent du Lab Jeunes, S&OP International Planner chez L’Oréal
Notre génération n’attend pas l’autorisation d’essayer : elle teste, mesure, publie. Donnez‑lui une année, et elle démontrera qu’une part des flux urbains peut basculer vers le rail, le fluvial, le vélo‑cargo ; que des retours s’évitent par un meilleur design d’emballage et un dialogue plus honnête ; que la promesse « sobre par défaut, express sur justification » élève le niveau de service sans baisser la satisfaction. Donnez‑lui des métriques partagées, et la compétition se fera sur la performance totale, pas sur la seule vitesse d’affichage.
Ce plaidoyer n’est pas un renoncement au progrès : c’est son exigence.
Le progrès n’est pas d’arriver toujours plus tôt, mais d’arriver à bon escient, au coût juste, avec l’empreinte la plus basse possible. Aucune technologie n’est hostile à cette vision : l’IA qui prévoit, la donnée qui éclaire, les outils qui orchestrent les tournées et évitent les trajets à vide servent la même ambition dès lors qu’on accepte de rendre des comptes.
La volonté des acteurs du LAB Jeunes, et plus largement de notre génération est de pouvoir s’emparer de ces sujets qui réconcilient compétition et coopération, performance et efficience, consommation et responsabilité.
Lorsque l’intention se heurte au réel

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Ralentir les flux pour mieux les penser, c’est accepter une nouvelle grammaire logistique faite de correspondances, de respirations, de temps morts féconds. Mais le marché, lui, conjugue encore tout au présent…
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Maxime Bouquin, membre permanent du Lab Jeunes
Dès que l’on pousse la porte des entrepôts, la poésie de l’intention se heurte à l’architecture du réel. Ralentir les flux pour mieux les penser, c’est accepter une nouvelle grammaire logistique faite de correspondances, de respirations, de temps morts féconds. Mais le marché, lui, conjugue encore tout au présent : rails saturés, créneaux fluviaux comptés, maillages de micro‑hubs trop rares hors hypercentres. La consolidation des commandes promet des camions mieux remplis, des navettes plus sobres ; elle invite aussi l’aléa à la table. Un orage sur le couloir rhodanien, un retard sur une écluse, et toute la partition se décale. Le « délai raisonnable » devient alors une promesse fragile : trop ambitieux, il frustre ; trop prudent, il décourage.
La vérité économique, elle, parle sans emphase
Bâtir un réseau « slow » demande du capital patient, un investissement visant des économies opérationnelles et un risque réduit. Des hubs mutualisés qui ne se louent pas à la journée, des contenants réemployables qu’il faut suivre, laver, rapatrier, des plateformes de données à sécuriser pour orchestrer le partage entre concurrents : c’est du CAPEX au service d’un OPEX plus sobre.
Aux actionnaires, le message est clair : le stock n’est pas le seul poste qui immobilise du capital ; l’absence d’infrastructures partagées, de boucles de réemploi et d’interopérabilité immobilisent aussi de la valeur en trajets à vide, en échecs de livraison, en retours, en pénalités et en risques réglementaires.
L’amortissement, ici, se fait par la stabilité des volumes, la confiance et la transparence. À la clé : des taux de remplissage qui montent, des kilomètres évités, un coût total de service qui baisse et un risque extra‑financier qui se contracte. La lenteur n’est pas une coquetterie : c’est une structure de coûts qui s’améliore avec le temps.
La limite sociale n’est pas moins décisive
On célèbre, à raison, la cyclo-logistique, sa discrétion, sa propreté, sa manière de recoudre la ville. Mais la beauté du geste ne suffit pas à protéger l’ouvrier. Mal encadré, l’essor des cargos peut créer des zones grises, des rémunérations au trajet, des horaires étirés pour absorber l’irrégularité des flux. À l’inverse, professionnaliser la filière réclame des compétences coûteuses :
- Planification multimodale ;
- Pilotage data ;
- Maîtrise des systèmes d’information interopérables.

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La slow logistique n’est pas un retour à la rusticité ; c’est une démarche et une pensée en rupture, moins énergivore, mais plus cognitive, qui requiert des métiers nouveaux et du temps long.
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Charly Suaire, membre permanent du Lab Jeunes et Consultant Senior en Supply Chain et Performance Opérationnelle chez Newton Vaureal Consulting
Si la fast fashion se verdit, à quoi sert de ralentir ?
Et puis il y a l’adversaire de plain‑pied : la fast fashion et, plus encore, son incarnation ultra‑rapide portée par de grandes plateformes sur le Web. Elles ne vendent pas que des vêtements ; elles vendent une accélération permanente du désir. Des micro‑collections jaillissent chaque semaine, parfois chaque jour, l’algorithme déplace l’offre à la vitesse du pouce, la logistique suit. Prix compressés à l’extrême, traçabilité fugitive, gratification instantanée : cette mécanique installe une pédagogie du réflexe, une accoutumance au « maintenant » qui rend tout délai suspect.
Le standard devient invisible et tyrannique : livrer vite n’est plus une performance, c’est un dû. Face à cette concurrence, l’innovation ne suffit pas si elle n’est pas lisible. L’automatisation des entrepôts, l’IA d’optimisation des tournées, les flottes électrifiées rendent la fast logistique toujours plus efficace et, parfois, moins carbonée.
La comparaison se corse : si le fast se verdit, à quoi sert de ralentir ? La réponse ne peut pas être un sermon. Elle exige un contrat clair avec le client : dire ce qui est urgent et ce qui ne l’est pas ; afficher, pour chaque option, le coût total et l’empreinte réelle ; reconnaître que l’attente a un prix, et que l’immédiateté en a un aussi, longtemps masqué.
Si la slow logistique veut peser…
La slow logistique ne gagnera pas en opposant la morale au confort, mais la vérité au réflexe. Elle doit transformer l’attente en valeur, rendre visible l’invisible (des indicateurs simples, publiés, comparables) et, enfin, faire de la coopération une arme compétitive. Ce sont des gestes politiques autant qu’industriels.
Rien de tout cela n’effacera la force d’attraction du « tout, tout de suite ». Mais l’histoire économique est aussi une affaire de récit et de preuves.

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Si la slow logistique veut peser, elle devra offrir les deux : une histoire qui donne envie d’attendre, et des preuves qui ferment la porte au soupçon d’inefficacité.
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Gabrielle VENOT, responsable communication du Lab Jeunes et chargée de clientèle & amélioration continue Supply chain chez ST Michel Biscuits
Alors, seulement, elle pourra déplacer le centre de gravité : non plus opposer la lenteur à la modernité, mais proposer une modernité qui ne confonde plus vitesse et progrès.
Au bout du compte, on ne livre jamais un simple paquet. On livre une manière d’habiter le temps, la ville, la planète. Tant que la vitesse régnera sans contre‑pouvoir, la slow logistique paraîtra minoritaire. Qu’elle devienne lisible, mesurable, désirable, et la loi pourrait changer : la cadence cessera d’être un diktat pour devenir une décision, la nôtre.
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